Journaliste libanais exilé en France depuis 2019, Ibrahim Cheaib a rencontré, vendredi dernier, des élèves de Terminale afin de leur raconter son histoire et de les sensibiliser sur l’importance de lutter pour la liberté d’expression.
Interview d'Ibrahim Cheaib pour la webradio
L'article de La Nouvelle République, paru le 28 mai.
Et article sur la rencontre à lire ci-dessous.
Le vendredi 21 mai, grâce au programme Renvoyé Spécial, les élèves de Terminale Londres ont rencontré Ibrahim Cheaib, un journaliste libanais exilé en France. Cet échange a été rendu possible grâce au travail de Mme Haineaux et Mme Suaudeau qui ont constitué un dossier d’inscription pour ce programme, pour nous permettre de vivre cette expérience. Nous avons donc pu échanger avec lui et découvrir son histoire.
Ibrahim Cheaib s’est d’abord présenté personnellement avant d’expliquer l’histoire de son pays avec passion puis de consacrer un temps aux élèves pour qu’ils puissent lui poser des questions. Il a également, pendant l’échange, diffusé deux vidéos permettant de découvrir clairement son travail au Liban.
Le Liban est un petit pays très peuplé du Moyen-Orient, ayant des frontières avec Israël et la Syrie, et connaissant actuellement une importante crise politique et économique. En effet, comme l’a expliqué Monsieur Cheaib, la situation économique est de plus en plus critique. Comme exemple significatif, il a présenté le cours de la monnaie nationale, la livre libanaise, qui a extrêmement diminué depuis quelques années : avant, en moyenne, 1€ correspondait à environ 1 800 livres tandis qu’aujourd’hui, cela correspond à 20 000 livres. De plus, le pays ne possède pas de ressource réellement exploitable et ne peut donc pas participer à la mondialisation par des exportations. Sa capitale est Beyrouth mais plusieurs autres villes sont importantes au niveau national telles que Tripoli, Tyr ou Byblos. Il a également expliqué la construction du drapeau : les bandes rouges représenteraient le sacrifice des Libanais pour leurs droits, le blanc la simplicité de ce peuple et le cèdre vert, arbre millénaire, au centre pour illustrer la résistance et la force du Liban, et pour intimider les ennemis qui tenteraient d’attaquer le pays. Pour faire un point historique, Monsieur Cheaib a décrit les différentes dates ayant permis la création du Liban. Le 23 mai 1926, une Constitution est rédigée à travers la réflexion du peuple libanais, qui regroupe une vingtaine de religions. Le “Grand Liban” est proclamé après s’être séparé de la Syrie à cause de tensions et d’affrontements. L’indépendance est reconnue le 22 novembre 1943. La France vient en aide au pays, principalement pour sa reconstruction, ce qui permet, encore aujourd’hui, de bonnes relations entre eux. En 1975, une guerre civile éclate au Liban, mais selon Monsieur Cheaib, il s’agit plus “de la guerre des autres sur [leur] territoire” car le peuple libanais ne souhaitait pas cela. La religion est au cœur du conflit. En 1989 l’Accord de Taëf est signé pour mettre en place un cessez-le-feu et instaurer une réconciliation nationale. Une République Démocratique Parlementaire a été instituée. Les citoyens élisent donc un Parlement, qui élit ensuite le gouvernement selon des conditions. En effet, le Président doit être chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite et le Président du Parlement musulman chiite. Malgré cette solution, Monsieur Cheaib aurait préféré un gouvernement “sans religion”, prônant la laïcité. Cependant la situation ne s’est pourtant pas améliorée : les chefs d’Etat sont des “voleurs” et des “menteurs” corrompus qui font souffrir le peuple libanais, qui vit dans la pauvreté. Des manifestations ont eu lieu, principalement après l’explosion au port de Beyrouth, en août 2020, car les libanais ne savent pas la vérité. Selon Ibrahim Cheaib, le gouvernement souhaite que le peuple reste pauvre pour ne pas qu’il puisse réfléchir et réellement se révolter.
Passionné par son métier, Ibrahim Cheaib a travaillé pour plusieurs médias libanais, en tant qu’animateur radio, analyste politique, reporter et notamment présentateur dans une émission à visée politique, “Les Arabes aujourd’hui” où il présentait différentes zones géographiques. Il est important de savoir que les médias sont fortement contrôlés par le gouvernement au Liban et que la censure est très présente (le pays se situe à la 107ème place sur 180 pays selon la carte représentant la liberté de la presse du RSF de 2021). Conscient du manque de liberté qui pèse sur les journalistes, Ibrahim Cheaib a décidé de créer son propre site web en ligne afin d’écrire des articles sur les sujets qu’il souhaite. Un jour, il a écrit un article critiquant le Hezbollah, un parti politique islamiste chiite, et a participé à l'organisation de plusieurs manifestations. Suite à la publication de cet article, il a subi des menaces, des intimidations directes et par des appels téléphoniques et a été kidnappé. Il est suivi, décrédibilisé sur les réseaux sociaux (une page Internet “Ibrahim Cheaib Leaks” a même été créée pour diffuser de fausses informations sur lui). Cette situation a été très stressante pour Monsieur Cheaib, qui s’est senti obligé d’accepter les conditions de ses ravisseurs pour rester en vie, car il pensait que “c’était la fin” pour lui. Au printemps 2019, il décide grâce à ses économies personnelles, de quitter sa famille pour se protéger et de rejoindre la France, pays qu’il affectionne particulièrement, principalement car il avait déjà eu l’occasion de le visiter.
Après un mois en France, alors qu’il pensait avoir été oublié par ses ennemis, il retourne au Liban. Cependant, il est attaqué à l’entrée de son quartier. Cet évènement l’a poussé à quitter une seconde fois son pays et à regagner la France. Ibrahim Cheaib est arrivé en France en novembre 2019. Il ne connaissait personne, n’avait presque pas d’argent (seulement 400€) et ne connaissait pas le fonctionnement administratif du pays. Il comptait trouver un travail et gagner sa vie pour être indépendant et surtout survivre, même si le pays ne l’a pas soutenu immédiatement et qu’il ne possédait pas de papiers. Cependant, le premier confinement a été instauré en France en mars 2020. Il a alors, grâce à un groupe de libanais présents à Paris via Facebook, vécu en colocation pendant quelque temps pour partager le loyer. Cette période n’a pas été facile pour lui car il était constamment angoissé et triste, jusqu’à ce qu’il reçoive un appel de la Maison des Journalistes (MDJ) et que celle-ci lui mette une chambre à disposition. Il considère avoir été sauvé par la MDJ.
Cette dernière est une association qui vient en aide aux journalistes exilés qui arrivent en France, en leur offrant un logement, une aide alimentaire et un accès aux transports. Monsieur Cheaib a finalement obtenu le statut de réfugié auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Depuis, il écrit des articles pour la Maison des Journalistes et il participe au projet Renvoyé Spécial pour rencontrer des jeunes. Il fait cela pour montrer sa gratitude envers la MDJ et raconter son histoire aux différentes générations.
Ibrahim Cheaib a également pris le temps de répondre à nos questions. Il a d’abord précisé qu’il avait choisi la France comme pays d’accueil, premièrement car il l’avait déjà visité, mais aussi car il apprécie sa culture ainsi que ses habitants et que la barrière de la langue était moins importante car le français est parlé au Liban. Il y trouve aussi des similitudes avec son pays d’origine.
Par ailleurs, il ne compte pas retourner au Liban pour y vivre, car il ne bénéficie d’aucune protection. Il n'exclut cependant pas l’idée de le visiter à nouveau pour voir sa famille, à l’occasion de séjours, une fois la nationalité française obtenue. Il imagine son futur en France, en continuant son métier de journaliste, éventuellement pour la MDJ et sur la situation au Liban car il s’agit de “[son] âme” et qu’il apprécie le message véhiculé.
D’autre part, il a expliqué que le rôle des journalistes au Liban était limité. En effet, les opinions des citoyens peuvent être corrompues par la peur ou l’argent, à cause du gouvernement. Monsieur Cheaib ne perd cependant pas espoir et croit que la liberté d’expression au Liban s’améliorera.
Il a aussi exprimé sa volonté de protéger son pays. A la question sur une potentielle carrière en politique, il a répondu qu’il accepterait pour faire changer les choses car il considère qu’il s’agit de son devoir, mais pas pour avoir de l’argent. Cet argent, parfois versé par la communauté internationale, doit être entièrement dédié à la création d’hôpitaux et au développement de la vie des habitants.
Enfin, il a également évoqué ses études pour devenir journaliste. Il a d’abord effectué des études de Droit à l’université, puis, grâce à des contacts, il a eu un poste de rédacteur et s’est rendu compte qu’il s’agissait de sa vocation, en se souvenant de son enfance où, avec son argent de poche, il achetait déjà des journaux. Il a ensuite élargi ses compétences dans divers domaines grâce à son travail.
A travers son témoignage, Ibrahim Cheaib veut transmettre un message fort. Il nous a montré l’importance de se battre pour obtenir la vérité et rester libre, dans le domaine médiatique mais également personnel. Selon lui, la liberté d’expression est précieuse et doit être absolue, et il faut lutter pour la conserver. Cette rencontre nous a permis de “nous rendre compte de la réalité dans le monde, et notamment du manque de liberté, de la censure et de la corruption” dans certains pays. Nous pouvons et devons nous estimer chanceux de vivre en France et de pouvoir exprimer nos opinions librement dans cette démocratie. Ce récit “poignant et enrichissant” est une véritable leçon de vie. Par son histoire, Ibrahim Cheaib montre “son courage, sa détermination, sa persévérance et son réel humanisme” selon les élèves, qui en ont été impressionnés. Cette rencontre a été “marquante” et “touchante”, tant sur le plan politique et économique du Liban - que les élèves ont pu découvrir - que sur l’histoire personnelle du journaliste, véhiculant de véritables émotions. De plus, les élèves ont apprécié discuter librement à la fin de cette rencontre avec Monsieur Cheaib, qui était “très accessible et ouvert d’esprit”. Ce moment a été ressenti comme un instant de “partage et d’ouverture au monde” mais aussi et surtout comme un échange véritablement “humain”.
Nous le remercions sincèrement de nous avoir accordé ce temps si précieux pour nous sensibiliser.